Rashford appelle le gouvernement anglais à ne pas délaisser les enfants pauvres- Traduit par Djiby Sow
A tous les députés,
Au cours d’une semaine qui aurait coincidé avec l’ouverture de l’Euro 2020, j’ai voulu revenir sur la date du 27 mai 2016, lorsque je me suis retrouvé au milieu du Stadium of Light à Sunderland après avoir battu le record du plus jeune joueur à avoir marqué lors de son premier match avec l’équipe première. J’ai vu la foule brandir ses drapeaux et taper sur l’écusson des Three Lions figurant de leur maillot. L’émotion de la fierté m’a envahi, non seulement pour moi mais aussi pour tous ceux qui ont rendu possible ce moment et m’ont aidé à réaliser mon rêve de jouer pour l’équipe nationale d’Angleterre.
Comprenez bien ceci : sans la gentillesse et la générosité de la communauté qui m’entoure, il n’y aurait pas le Marcus Rashford que vous voyez aujourd’hui : un jeune homme noir de 22 ans qui a eu la chance de faire carrière en pratiquant le sport qu’il aime
Mon histoire est commune à beaucoup de familles anglaises : ma mère travaillait à plein temps, gagnant le salaire minimum pour s’assurer que nous avions toujours un diner sur la table. Mais ce n’était pas suffisant. Le système social n’a pas été conçu pour que des familles comme la mienne réussissent, quel que soit le travail de ma mère.
Notre famille vivait grâce aux petits déjeuners offerts par les clubs, à la cantine scolaire gratuite et à la gentillesse des voisins et des entraîneurs. Les reserves alimentaires et les soupes populaires nous etaient familieres. J’ai le souvenir récent de nos visites à Nothern Moor pour nos diners de Noël de chaque année. C’est seulement maintenant que je comprends vraiment l’énorme sacrifice que ma mère a consenti en m’envoyant vivre dans la misère à 11 ans, une décision qu’aucune mère ne prendrait jamais à la légère.
L’été de cette année aurait dû être à nouveau un momemt de fierté, avec parents et enfants agitant leurs drapeaux, mais en réalité, le stade de Wembley aurait pu être rempli plus de deux fois avec des enfants qui ont dû sauter des repas pendant le confinement parce que leurs familles n’avaient pas accès à la nourriture (200 000 enfants selon les estimations de l’Agence Food Foundation).
Alors que leur estomac ronchonne, je me demande si ces 200 000 enfants seront assez fiers de leur pays pour enfiler un jour le maillot de l’équipe nationale d’Angleterre, et chanter son hymne depuis les gradins. Il y a dix ans, j’aurais été l’un de ces enfants, et vous n’auriez jamais entendu ma voix ni vu ma détermination à porter ce combat.
Puisque la fermeture des écoles était temporaire, j’ai travaillé , comme beaucoup d’entre vous le savent, avec l’association de distribution alimentaire FareShare pour aider à couvrir une partie du déficit en repas scolaires. Bien que ce programme distribue actuellement trois millions de repas par semaine aux personnes les plus vulnérables du Royaume-Uni, je reconnais que c’est tout simplement insuffisant
Il ne s’agit pas de politique, mais d’un sens d’humanité. Nous nous regardons dans le miroir et avons le sentiment d’avoir fait tout ce que nous pouvions pour protéger ceux qui n’arrivent pas à le faire, pour quelque raison ou circonstance que ce soit. Au-delà des appartenances politiques, ne pouvons-nous pas tous convenir qu’aucun enfant ne devrait aller au lit le ventre vide ?
L’insécurité alimentaire en Angleterre est une pandémie qui pourrait s’étendre sur plusieurs générations si nous n’agissons pas maintenant. Alors que 1,3 million d’enfants en Angleterre bénéficient des programmes scolaires de repas gratuits, un quart de ces enfants n’ont reçu aucune aide depuis que la fermeture des écoles a été ordonnée.
Nous dépendons des parents, dont beaucoup ont perdu leur emploi à cause du Covid-19. Certains travaillent en tant que professeur-assistant pendant le confinement, en espérant que leurs enfants seront suffisamment concentrés pour apprendre, avec seulement un petit pourcentage de leurs besoins nutritionnels satisfaits pendant cette période.
C’est un échec du système . Sans éducation, nous encourageons ce cycle de difficultés à se poursuivre. Pour mettre cette pandémie en perspective, à partir de 2018-2019, neuf enfants sur trente dans une classe donnée vivaient dans la pauvreté au Royaume-Uni. Ce chiffre devrait augmenter d’un million supplémentaire d’ici à 2022. Aujourd’hui, en Angleterre, 45 % des enfants des groupes ethniques noirs et minoritaires vivent dans la pauvreté. C’est l’Angleterre en 2020…
Je vous demande d’écouter l’histoire de leurs parents, car j’ai reçu des milliers de témoignages de personnes en difficulté. J’ai écouté des pères me dire qu’ils vivent avec la dépression, qu’ils ne peuvent pas dormir, qu’ils s’inquiètent de la façon dont ils vont subvenir aux besoins de leur famille après avoir perdu leur emploi de façon inattendue, des directeurs d’école qui couvrent personnellement le coût des factures alimentaires pour leurs familles vulnérables après que la carte de débit de l’école a été épuisée, des mères qui ne peuvent pas couvrir le coût de l’augmentation des factures d’électricité et de nourriture pendant le confinement, et des parents qui sacrifient leurs propres repas pour leurs enfants. En 2020, il ne devrait pas s’agir d’une question de survie.
J’ai lu des tweets au cours des dernières semaines, où certains accusent les parents d’avoir des enfants qu’ils ne peuvent pas nourrir. Ce même doigt aurait pu être pointé à mère. Pourtant j’ai grandi dans un environnement d’amour et d’attention.
L’homme que vous voyez devant vous aujourd’hui est le fruit de son amour et de son attention. J’ai des amis qui sont issus de la classe moyenne et qui n’ont jamais connu une once de l’amour que j’ai reçu de ma mère : une mère célibataire qui sacrifierait tout ce qu’elle avait pour notre bonheur. C’est de ce genre de parents que nous parlons. Des parents qui travaillent toute la journée au salaire minimum, la plupart d’entre eux travaillant dans l’hôtellerie, un secteur qui est fermé depuis des mois.
Au cours de cette pandémie, les gens sont sur le fil du rasoir : une facture manquée a un effet de spirale, l’anxiété et le stress de savoir que la pauvreté est le principal facteur qui pousse les enfants à se retrouver en foyer, un système qui est conçu pour laisser tomber les familles à faible revenu. Savez-vous combien il faut de courage à un adulte pour dire “je n’en peux plus” ou “je ne peux pas subvenir aux besoins de ma famille” ? Des hommes, des femmes, des soignants appellent à l’aide et nous n’écoutons pas.
J’ai également reçu un tweet d’un député qui me l’a ainsi dit : “C’est pourquoi il existe un système de prestations“. Rassurez-vous, je suis parfaitement au courant du régime de crédit universel et je sais que la majorité des familles qui font une demande connaissent des retards de cinq semaines. Le crédit universel n’est tout simplement pas une solution à court terme. Je sais aussi, pour avoir parlé aux gens, qu’il y a une limite de deux enfants par famille, ce qui signifie que quelqu’un comme ma mère n’aurait pu couvrir les frais que pour deux de ses cinq enfants. En avril 2020, 2,1 millions de personnes ont demandé des prestations liées au chômage. Il s’agit d’une augmentation de 850 000 personnes depuis mars 2020. Alors que nous approchons de la fin du régime des congés et d’une période de chômage massif, le problème de la pauvreté des enfants ne fera qu’empirer.
Des parents comme les miens s’en remettraient à des clubs pour enfants pendant les vacances d’été, qui leur offriraient un espace sûr et au moins un repas, pendant qu’ils travaillent. Aujourd’hui, les parents n’ont pas cette possibilité. Face au chômage, des parents comme les miens se seraient rendus à l’agence pour l’emploi dès lundi matin pour trouver un travail leur permettant de subvenir aux besoins de leur famille. Aujourd’hui, il n’y a pas d’emplois.
En tant qu’homme noir issu d’une famille à faible revenu de Wythenshawe, Manchester, j’aurais pu être une statistique comme une autre. Au lieu de cela, en raison de de la générosité de ma mère, de ma famille, de mes voisins et de mes entraîneurs, les seules statistiques auxquelles je suis associé sont les buts, les apparences et les sélections. Je me rendrais coupable d’une injustice envers moi-même, ma famille et ma communauté si je ne me tenais pas ici aujourd’hui avec ma voix et ma tribune pour vous demander de l’aide.
Le gouvernement a adopté une approche de l’économie “quoi qu’il en coûte” – je vous demande aujourd’hui d’étendre cette même réflexion à la protection de tous les enfants vulnérables en Angleterre. Je vous encourage à entendre leurs appels et à trouver votre humanité. Veuillez reconsidérer votre décision d’annuler le système de bons alimentaires pendant les vacances d’été et garantir la prolongation.
C’est l’Angleterre en 2020, et c’est une question qu’il est urgent de résoudre. Je vous en prie, tant que les yeux de la nation sont braqués sur vous, revenez sur votre décision et faites de la protection de la vie de certains de nos citoyens les plus vulnérables une priorité absolue.
Cordialement,
Marcus Rashford
Traduit par Djiby Sow
