Document : PSG: AUX ORIGINES DE LA MACHINE IDRISSA GUEYE

Recrue estivale du PSG, Idrissa Gueye a illuminé l’Europe lors de la première journée de Ligue des champions avec une performance magistrale contre le Real Madrid (3-0). De nouveau titulaire ce mardi à Galatasaray, l’international sénégalais devrait encore jouer son rôle de ratisseur-relanceur qu’il maîtrise sur le bout des doigts. Et cela ne sort pas de nulle part. Reportage chez lui, au Sénégal, auprès des témoins qui l’ont côtoyé dans l’institut Diambars, son tremplin vers la gloire footballistique. Où il a laissé un souvenir au plus que parfait.

Sur les photos d’enfance, la fragilité du physique mesure le chemin parcouru. La brindille devenue roc qui ratisse – relance et ne s’arrête plus. Dans les yeux des témoins, la fierté du regard mesure la trace laissée. Le petit gamin devenu grand joueur qui de son passé n’a rien oublié. Pour mieux saisir les notes de la partition jouée par Idrissan Gana Gueye il y a deux semaines, cet air envoûtant entonné sur la pelouse du Parc qui a enchanté l’Europe face au Réal Madrid en ouverture de la Ligue des hampions (3-0), il faut se rendre chez lui, au Sénégal. Direction Dakar puis la Petite-Côte, au sud-est de la capitale sénégalaise. Saly, institut Diambars. Là ou s’ouvre la malle aux souvenirs. Plonger la main au fond et remonter il y a seize ans, fin 2003. Les débuts de l’institut consacré aux jeunes footballeurs fondé par les anciens joueurs Saer Seck, Bernard Lama, Patrick Vieira et Jimmy Adjovi-Boco.

“Il n’avait pas tapé dans l’œil de tout le monde”

Aujourd’hui, il s’étend sur de beaux synthétiques et de belles installations modernes. A l’époque, rien à voir. Une auberge comme local provisoire. Des terrains en terre ou en sable. Au milieu de tout ça, deux premières promotions de seize joueurs, les 1989 et les 1990, détectés dans des matches de quartier organisés pour l’occasion et des “navétanes”, ces rencontres et tournois interquartiers qui passionnent les Sénégalais. Chez les 89, un bout de bonhomme de tout juste quatorze piges venu du quartier de la Medina, à Dakar, et qui a dû lutter pour convaincre après plusieurs essais. Question de physique, on va y revenir. “On l’a recruté sur les tests, raconte Jimmy Adjovi-Boco. Il n’avait pas tapé dans l’œil de tout le monde. Il était petit, chétif. Mais plusieurs d’entre nous décelaient quelques qualités et il ne pouvait pas ne pas faire partie des premières recrues.”

“Il ne pensait qu’à ça: foot, foot, foot, foot. Si on ne l’arrêtait pas, il jouait tout la nuit”

L’ancien international béninois lâche un grand sourire: “De toute manière, Saer, Bernard et moi, qui étions là pour le recrutement final, on ne l’aurait jamais laissé passer”. “Quelques qualités”, donc. Mais encore? “C’était un joueur qui voyait avant de recevoir le ballon, qui avait déjà cette science, cette connaissance du jeu, poursuit Jimmy Adjovi-Boco. Il n’était pas le plus grand ou le plus fort mais il a pu compenser par d’autres qualités: l’intelligence et l’agressivité dans le bon sens du terme sur le porteur du ballon.” La base est là. L’envie aussi. “Il ne pensait qu’à ça: foot, foot, foot, foot, se souvient Ababacar Tabane, ancien coach à Diambars resté proche du milieu parisien. Il voulait jouer, peu importe à quel poste. Si on ne l’arrêtait pas, il jouait tout la nuit, aucun problème. Il fallait qu’il se dépense, qu’il coure partout.”

Idrissa Gueye (en bas à droite, qui jongle) lorsqu'il évoluait à l'institut Diambars

Il y a la caisse. Il manque le coffre. Il en souffre mais va s’en servir. “Il était petit mais ça l’a rendu grand, lance Ibrahima Sohko, proche ami d’enfance qui a joué à Diambars avec lui et vit avec sa famille depuis plusieurs années dans le quartier populaire dakarois d’Ouakam, où est né Patrice Evra. Quand on était dans la chambre, il pouvait pleurer parce qu’on jouait contre des grands et qu’on ne l’avait pas fait jouer. C’est ce qui a fait sa grinta, la hargne qu’il a quand il joue. C’est pour montrer aux grands qu’il est aussi fort qu’eux.” “Il jouait défenseur central mais ça posait un problème par rapport à sa taille et il a dû changer de poste, enchaîne Ababacar Tabane. Au début, oui, il a eu un complexe par rapport à sa taille. Les autres étaient plus grands, plus rapides, plus puissants, et lui voulait toujours grandir. (Rire.) Mais tu ne le sentais pas en retrait par rapport aux autres. Il n’y allait pas en reculant même face aux plus costauds. Avec le mental de compétiteur qu’il avait, il n’allait pas lâcher. Jamais. Il a toujours voulu montrer que sa taille ne l’empêchait pas d’être bon.”

“Je n’arrête pas de lui dire que c’est le gendre idéal”

On comprend bien volontiers les éloges de la “famille” Diambars, comme ils la nomment tous. Mais avec Gana, l’un de ses trois premiers fils à signer un contrat professionnel avec notamment Pape Souaré (lui aussi à Lille), l’éloge vire à la mention très bien. Les mêmes mots en boucle: humilité, travail, bien éduqué, généreux dans l’effort. “Je ne l’ai jamais vu tricher sur un terrain, pointe Makhtar Mbour, qui a partagé sa chambre pendant plusieurs années à Diambars et aujourd’hui directeur administratif de l’institut. C’est quelqu’un qui finit les matches lessivé.” Sans jamais se plaindre ni jouer au provocateur auprès de la hiérarchie. “Dans son comportement de tous les jours, son respect envers les coachs et l’organisation, on n’avait aucun souci avec ce garçon, confirme Ababacar Tabane. On n’a jamais eu de retour négatif des professeurs pour dire que ça n’allait pas au niveau comportemental ou quoi que ce soit. Il était le premier à venir vers toi et à demander des conseils. Ça donne envie de l’accompagner.” “Je n’arrête pas de lui dire que c’est le gendre idéal, s’en amuse Jimmy Adjovi-Boco. C’était un adolescent plutôt calme. Quelqu’un de réservé, posé, intelligent. Un sage avant tous les autres. (Sourire.)”

Mais Gana l’ambianceur, qu’on peut voir à l’oeuvre en sélection et sur les réseaux sociaux, était déjà là lui aussi. “C’était loin d’être un jeune renfermé sur lui-même, c’est aussi un chambreur, rappelle le cofondateur de l’institut Diambars. Rare sont ceux qui m’ont chambré mais lui l’a déjà fait publiquement! (Rires.)” “Il était perturbateur, agité, il bougeait beaucoup, avoue Makhtar Mbour. Il aimait animer le groupe et c’est ce qui se traduit en équipe nationale avec ses pas de danse. Il garde toujours cette joie de vivre.” A l’époque, il évitait juste de se faire remarquer. “On savait qu’il le faisait de temps en temps mais enfermé dans sa chambre car il y avait des horaires à respecter, sourit Ababacar Tabane. Maintenant, il se lâche beaucoup plus.” “C’est son vrai visage, conclut Ibrahima Sokho. Celui qu’on connaît, le Idrissa taquin. Il rigole tout le temps. Il aime bien mettre la musique, l’ambiance, sans pression.”

Le petit Idrissa Gueye (premier à gauche) tout sérieux quand ses camarades de l'institut Diambars sont tout sourire

Même les bancs de l’école, pas toujours la passion première d’un ado épris de ballon rond même si les dirigeants de Diambars insistent tout autant sur cette partie du cursus des apprentis, ne lui font pas peur. “Il était plus bon footballeur que bon élève mais il avait quand même de bonnes notes”, se souvient son ex-coloc à l’institut. “Il était l’un des cinq meilleurs de sa classe chaque année, précise son ami d’enfance. Il captait vite les choses. Il a compris tôt qu’il fallait utiliser tout ce qu’on lui donnait de bien pour sa carrière, les études, l’entraînement, toutes les petites choses.” La clé se trouve là. L’ambition. L’envie de tout croquer devant soi et de tout faire pour atteindre l’objectif. “Il se levait et il se couchait avec cette envie de réussir”, témoigne Makhtar Mbour. “Il m’en parlait sérieusement, raconte Ibrahima Sokho. Il me disait tout le temps: ‘Il faut qu’on réussisse, qu’on bosse bien pour atteindre ça’. Il avait tout le temps ça en tête. Il voulait jouer la Coupe du monde, la Ligue des champions, les gros matches. Être sous les projecteurs et flamber, comme tout joueur en fait. Il a toujours senti qu’il pouvait rivaliser avec les meilleurs avec le travail.”

“Il essayait de tirer en mettant la main comme Beckham pour l’imiter au maximum”

“C’est un joueur qui a eu très vite des ambitions, appuie Jimmy Adjovi-Boco. Avant de partir de l’institut, en 2006, il avait dit dans une interview qu’il voulait jouer pour son pays et gagner une Coupe du monde.” “Il a toujours cru qu’il serait professionnel et souhaité évoluer dans un grand club pour montrer à tout le monde qu’il était capable de réussir”, complète Ababacar Tabane. Il ne rêve alors pas du PSG, pas encore qatari, mais du club qui a fait mal au Parc en mars dernier. D’un futur Parisien, aussi. “On parlait des équipes dans lesquelles on voulait jouer. Lui, c’était plus Manchester United car son idole était David Beckham”, lance Makhtar Mbour. Précision signée Ibrahima Sokho: “Il essayait même de tirer en mettant la main comme lui pour l’imiter au maximum”. La première étape européenne sera lilloise. Mais avant cela, il y aura quelques tournées, qui le verront déjà passer par le Nord. Pour Diambars, la scène sénégalaise se révèle vite “un peu trop facile” (Jimmy Adjovi-Boco). Se tester au haut niveau dans l’optique de faire carrière se fera donc en Europe. Douche froide pour commencer.

“On restait dans les chambres à pleurer et se poser des questions”

“Notre première tournée, on prenait des 5-0 ou 6-0 contre toutes les équipes, se rappelle le cofondateur de Diambars. Beaucoup se sont dit qu’ils étaient loin d’atteindre le professionnalisme.” “On était découragés, confirme Makhtar Mbour. On restait dans les chambres à pleurer et se poser des questions: ‘On a quinze ans, eux aussi, ils nous battent 5-0, on n’a aucune chance de réussir dans le foot’. On s’est rendu compte qu’il y avait du chemin à faire. Mais les gens nous ont encouragé. Et l’année suivante, il n’y avait plus un tel écart.” Il ne fera que s’amenuiser. “Quand il revenait de ces tournées, ça motivait davantage Idrissa, explique l’ancien coach de l’institut. Il restait dans son coin et il travaillait.” Capitaine de son équipe à Diambars, Gueye est repéré par Lille lors d’un tournoi amical au domaine de Luchin, siège et centre d’entraînement du LOSC, en septembre 2007. “Je ne suis pas venu en vacances mais pour trouver un club”, lance-t-il alors au micro de LOSC TV. Il signe dans le club nordiste en juin 2008 après de nouveaux tests et sur les conseils insistants de Saer Seck auprès des dirigeants lillois alors que seul Pape Souaré avait d’abord été retenu. Nouveau défi à relever. Petit obstacle en plus: cette fois, il fait froid. “Mais quand on a envie de réussir quelque part, qu’il pleuve, qu’il vente ou qu’il neige, on réussit, lance son ancien coloc. Il s’est mis ça dans la tête et il a travaillé.”

Patrick Vieira avec Idrissa Gueye (premier sur sa droite) et ses camarades de l'institut Diambars

“Il a commencé avec la CFA, se souvient Ababacar Tabane. Il avait un an de plus que Pape Souaré mais ce dernier a commencé à s’entraîner avec les pros avant lui. Mais il n’a pas lâché. Il savait qu’il allait y arriver. Quand je venais le voir, il me disait: ‘Je vais aller avec la première’.” “Ça a été très compliqué car il passait dans un autre monde, rappelle Jimmy Adjovi-Boco. A l’institut, il faisait partie des meilleurs. Là, il était dans un monde où si vous n’êtes pas bon, on ne s’occupe pas de savoir qui vous êtes. Il a eu des moments difficiles car des gens se sont posés des questions sur lui. Mais il avait une telle force de caractère qu’il a surmonté ces phases et ça l’a forgé. A un moment, des problèmes de santé auraient pu l’empêcher d’aller plus loin. Mais ça n’a pas été long. Il a une faculté à se remobiliser et à croire en lui, cette force interne qu’on a senti dès le départ. Il sait ce qu’il veut faire et où il veut aller.”

“Quand il est au Sénégal, il me demande qui on doit aider ou comment faire mieux”

Rudi Garcia le lance en Ligue 1 et en Ligue Europa en 2010, quelques mois après l’avoir essayé en Coupe de France. La sélection sénégalaise arrive en 2011, année du doublé Coupe-championnat avec Lille. Il y aura la Premier League, Aston Villa en 2015, Everton en 2016, puis Paris et ses rêves de grandeur européenne l’été dernier après une finale (perdue de CAN). Il a disputé la Coupe du monde, les JO, et maintenant cette Ligue des championsou il a martyrisé le prestigieux Réal e Marid  . Mais le gamin de Saly est resté le même. Il n’a rien oublié, surtout, et reste disponible “n’importe quand” (Ababacar Tabane) pour les siens, sa famille comme ses anciens compagnons de l’aventure Diambars. Gana aime ça. Il en a besoin, même. “Il passe dès qu’il peut, explique Ibrahima Sokho. Même s’il a une heure de temps avant d’aller en sélection ou de rentrer en club, il vient voir ses proches. Sa famille d’accueil lilloise, par exemple, il les invite tout le temps. Récemment, ils étaient au stade pour le suivre. Il les considère comme des parents car c’est un peu le rôle qu’ils avaient à l’époque. Tu vois la personne qu’il est: il garde ces valeurs-là. Quand il est au Sénégal, il me demande qui on doit aider ou comment faire mieux. C’est tout le temps le partage, le partage, le partage… C’est une bonne personne, un gars sympa, calme, gentil, humble, respectueux, mais qui peut être taquin avec ses camarades. On passe de très bons moments quand il vient en vacances.”

Des périodes où il n’hésite pas à prendre son temps pour répondre aux questions des enfants élèves de l’institut Diambars et leur prodiguer ses précieux conseils. “Ce n’est pas un modèle mais LE modèle pour les jeunes, que ce soit côté trajectoire sportive, discipline ou comportement, affirme Makhtar Mbour. Et son désir est de transmettre à la jeune génération cette envie de réussir et d’aller plus loin.” “Pour moi aussi, c’est LE modèle, insiste Jimmy Adjovi-Boco. Il a dans son comportement tout ce que l’on veut mettre en avant à l’institut. C’est un joueur intelligent, respectueux, qui a des valeurs, qui aide son prochain, qui met toujours l’intérêt de l’équipe en avant. Toutes ces valeurs de solidarité, d’abnégation, de travail qu’on met en avant à Diambars, il les incarne à la perfection.” En wolof, diambars signifie “guerriers”. “Au sens noble du terme, comme le samouraï, avec toutes ses valeurs d’honneur, de combativité, de loyauté”, précise le cofondateur de l’institut. “Ça lui correspond bien”, sourit Makhtar Mbour.
Idrissa Gueye (à droite) sur les terrains en sable de l'institut Diambars à l'époque où il y évoluait

Face au Real, les sabres étaient ses jambes. Tout sauf un feu de paille à écouter ceux qui l’ont vu éclore. A 30 ans, le milieu est arrivé à maturité. “Il défend toujours en avançant, analyse Jimmy Adjovi-Boco. C’est un joueur qui lit les trajectoires, qui anticipe, un joueur moderne qui en plus de ses qualités défensives a des qualités techniques et de vision de jeu. Il aime casser les lignes, donner et redemander dans l’espace. En plus, aujourd’hui, il frappe au but, ce qu’il faisait beaucoup moins à Diambars ou à Lille. C’est vraiment un joueur complet. Il a fait tout ce qu’il fallait pour avoir le droit et le bonheur de jouer dans un grand club. Il a atteint un niveau assez incroyable dans tous les comportements du jeu mais il y a longtemps que je disais à des entraîneurs comme Arsène Wenger ou autres que c’était un joueur qu’il fallait regarder. Il avait des stats qui prouvaient ce que je disais, qui ressemblaient à celles de N’Golo Kanté. Pour moi, il est à son niveau.”

“La tête sur les épaules, d’une simplicité exceptionnelle”

Makhtar Mbour explique qu’il a “fait les bons choix aux bon moments” et pense qu’il serait “encore meilleur” si Diambars avait déjà disposé de synthétiques à l’époque. Ababacar Tabane affirme que ce “vrai guerrier” sait “encaisser” les critiques, garde “la tête sur les épaules, d’une simplicité exceptionnelle” et qu’il “ne va pas se plaindre s’il n’a pas de temps de jeu” car “si ça ne marche pas, ce n’est pas pour autant qu’il va bouder” mais plutôt “continuer à bosser car il croit en lui”, comme en fin de saison dernière avec Everton malgré son transfert avorté au PSG. Et pour Ibrahima Sokho, ce “bosseur”, qu’il n’a “jamais vu douter”, “peut encore progresser”. Sur un mur devant la maison de la famille, à Ouakam, où les amis et les voisins viennent voir ses matches, les inscriptions à la gloire de Gana ont fleuri. Elles sont loin, les photos d’enfance. Et si proches.

RMC

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