1982 : L’Algérie décomplexe le foot Africain. Lakhdar Belloumi revient sur le mondial Algérien

Espagne 1982 – L’équipe nationale d’Algérie disputait sa première phase finale de Coupe du monde. À peine âgée de 20 ans, la nation libre s’est montrée héroïque face à l’ogre redoutable, la RFA. Mais dans le football les scénarios sont souvent cruels, et cette fois les Verts ont été victimes de la triche. Éliminée à l’issue du « match de la honte » entre l’Allemagne de l’Ouest et l’Autriche, cette génération Algérienne reste gravée dans les mémoires, 38 ans après leur exploit. En 1982, l’équipe nationale de football Algérienne offrait à son peuple comme cadeau de vingtième anniversaire d’indépendance, une première participation à une Coupe du Monde. Cette équipe était emmenée par un trio d’attaque composé de : Salah Assad, Rabah Madjer et Lakhdar Belloumi. Trois joueurs modernes aux qualités techniques très largement supérieures à la moyenne. L’Algérie héritera d’un groupe compliqué, composé de la RFA, de l’Autriche et du Chili. Les analystes de l’époque ne donnent pas chère de la peau des Verts, et pourtant… Les Fennecs avaient atteint la finale de la Coupe d’Afrique des Nations en 1980 puis les demies deux ans plus tard, quelques mois avant le Mondial Espagnol. L’exploit face à la RFA Pour leur premier match, les Algériens doivent faire face à la terrible et terrifiante équipe d’Allemagne de l’Ouest. Une sélection composée par Paul Breitner, Uli Stielike ou encore le double Ballon d’or (1980 et 1981) Karl-Heinz Rummenigge. Une sélection avec l’ADN de la victoire : championne du monde en 1954, championne d’Europe en 1972, championne du monde en 1974 et championne d’Europe 1980. Et quand la RFA ne remportait pas la compétition, elle en était jamais loin : demi-finale au Mondial Mexicain en 1970 et finale de l’Euro 1976. Le monstre Allemand avait gagné ses 8 matchs de qualification pour la Coupe du monde 1982 avec une facilité déconcertante : 33 buts marqués pour 3 buts encaissés. Joueurs, entraîneurs et responsables Allemands baignaient dans un excès de confiance, jusqu’à se montrer irrespectueux avec plusieurs provocations. Contacté par notre rédaction, Lakhdar Belloumi est revenu sur le contexte du match : « Nous étions très motivés à l’entame du match car les Allemands avaient déclaré qu’ils allaient nous battre facilement avec un score large, qu’ils allaient dédier leurs buts à leurs femmes et chiens ou qu’ils allaient venir jouer en smokings. Ces sorties médiatiques nous ont poussés à nous dépasser ». Mahieddine Khalef, le sélectionneur à l’époque, et ses adjoints Rachid Mekhloufi et Rabah Saâdane, décident d’aligner une équipe offensive et de jouer leur jeu. Ali Fergani est installé en numéro 6, Belloumi et Mustapha Dahleb pour mener l’équipe, avec Assad et Madjer sur les ailes. Belloumi dira à ce sujet : « Nous avions très bien préparé ce match avec des stages en Suisse et du côté de la frontière Française, et des matchs amicaux – face au Real Madrid ou l’Irlande du Nord – remportés dans la majorité. Le jour du match, le 16 juin 1982, nous sommes rentrés sur le terrain sans complexe, en jouant notre jeu et imposant notre tactique avec le trio Madjer, Assad et Belloumi ». À la mi-temps, le score est de 0-0. À la 54e minute, Madjer donne l’avantage à l’Algérie, suite à une contre-attaque éclaire. En six passes, les Verts arrivent jusqu’au but de Schumacher, qui repousse la frappe de Belloumi dans les pieds de son coéquipier, lequel devance les défenseurs pour envoyer le ballon au fond des filets du pied gauche. Peu après l’heure de jeu, la RFA égalise grâce à Karl-Heinz Rummenigge, qui reprend un centre de Felix Magath. Mais la détermination Algérienne n’a pas dit son dernier mot, une minute plus tard les Fennecs reprennent l’avantage et ne seront plus rattrapés..Un grand Mehdi Cerbah proétegera la cage des Verts jusqu’au coup de sifflet final. Le deuxième but a été inscrit par Belloumi suite à une magnifique séquence de possession de 11 passes. Fixation, dédoublement et centre au sol, une phase de jeu digne des jeux de jeu digne des jeux de possession des années 2000. Pour le numéro 10 de l’Algérie, ce n’était pas une surprise : « Une chose est certaine, Madjer, Assad et Belloumi se connaissent par cœur. On jouait ensemble depuis 1974, on connaissait exactement nos mouvements et nos intentions de jeu avec ballon. Sur le premier but, j’appelle dans l’espace et Djamel Zidane me sert en profondeur. Madjer aurait pu s’arrêter mais il a continué son effort et il s’est retrouvé en position parfaite pour reprendre le ballon repoussé par le gardien. Sur mon but c’est plus ou moins la même chose, lorsque j’ai vu Dahleb servir Assad, j’ai senti le centre et j’ai plongé pour finir. C’était notre force, on se connaissait car on jouait ensemble depuis déjà pas mal d’années ». La Mannschaft devenait la première équipe européenne à perdre face à une équipe africaine (1-2). De son côté, l’Algérie devenait le premier pays arabo-africain à l’emporter sur une nation ayant remporté une Coupe du Monde de football. Une victoire synonyme liberté pour l’Algérie et d’exemple pour le monde arabe : « Ce match était une deuxième indépendance après 1962. Lorsque l’on était sur le terrain, il fallait faire plaisir au public, au peuple Algérien. Mon but de la victoire face à la RFA était évidemment dédié à la nation Algérienne. Cela a pris une autre proportion avec le monde arabe. Après notre performance, les pays arabes ont pris conscience de leurs potentiels. L’Arabie Saoudite, le Maroc ou la Tunisie étaient derrière nous, et ensuite à leur tour ils ont écrit leurs histoires. Le monde arabe nous a remercié », ajoute l’ancien du MC Oran. De la joie à la déception Le 21 juin, à Oviedo Belloumi et ses partenaires disputent la deuxième journée de la phase de poule face à l’Autriche. Ce sera un véritable gâchis… Euphorie retombée ou excès de confiance, l’Algérie est nettement battue 2 à 0 par l’équipe de Walter Schachner et Hans Krankl. Cette défaite, construira une partie de l’élimination finale des Verts. La dernière rencontre face au Chili sera encore plus frustrante. Pour ce match Dahleb et Belloumi sont sur le banc mais les Algériens rentrent parfaitement dans la rencontre. Assad inscrit un doublé en une demi-heure, et Tedj Bensoula pense plier le match en marquant le troisième but avant la mi-temps. Car si ses coéquipiers tiennent le score (3-0), leur qualification sera quasiment acquise. Il faudrait alors une improbable victoire de l’Allemagne avec au moins trois buts Autrichiens (4-3, 5-4, etc.) pour les éliminer. Mais revenu des vestiaires relâchés, El Khadra va concéder deux buts. L’Algérie s’impose finalement par la plus petite des marges (3-2) le 24 juin. L’Allemagne et l’Autriche se retrouveront le lendemain, le 25 juin, sachant parfaitement que score 1-0 pour la RFA qualifierait les deux nations. Les deux équipes s’arrangent et offrent « le match de la honte », qui élimine les Verts. La RFA, l’Autriche et l’Algérie terminent ex æquo du groupe 2 avec 4 points chacune (victoire à 2 points à l’époque) mais avec une différence de but de +3 et +2 pour les Européens et seulement 0 pour les Africains. La magouille adverse et l’imprudence Algérienne plomberont les espoirs d’une nation. Pour Lakhdar Belloumi, le plus important n’est pas dans le résultat final : « La victoire contre la RFA, c’était un exploit pour une première participation à une Coupe du monde et cela a entrainé beaucoup de choses positives pour le football Algérien. Derrière nous avons connu des qualifications en 1986, 2010 et 2014. Depuis, nos sélections jouent sans complexe car les joueurs sont conscients de leurs forces. Ils jouent dans de grands clubs européens et participent aux plus grandes compétitions. Ce qui restera dans l’histoire, c’est le fait que l’on a provoqué des changements majeurs dans le règlement de la FIFA. Le match entre l’Autriche et la RFA est connu du monde entier, et grâce à l’Algérie, le football ne connaitra plus jamais un tel scandale. La jeunesse doit savoir et comprendre que cette génération a placé l’Algérie sur la carte du football mondial. Cette équipe a laissé son empreinte dans les livres d’histoire ».   Toutefois, il restera un goût d’amertume lorsque le cynisme et le racisme d’Hans Tschak, responsable de la délégation Autrichienne, sortiront au grand jour : « Bien sûr que le match a été tactique aujourd’hui, mais si 10 000 fils du désert dans le stade veulent déclencher un scandale à cause de ça, cela prouve juste qu’ils ont trop peu d’écoles chez eux ». L’Autriche sortira au second tour. Et comme si une justice existait, l’Allemagne de l’Ouest s’inclinera en finale face à l’Italie, battue à la fatigue suite à un avion annulé tard dans la nuit après la demi-finale face à la France. La suite pour Belloumi Les sollicitations pleuvaient pour le maestro Algérien après la compétition mais il ne pouvait pas quitter le pays sans une autorisation spéciale à l’époque. Viendront ensuite les blessures et un mandat d’arrêt international lancé contre lui en 1990. Belloumi aurait pu/dû quitter l’Afrique comme son compatriote Assad, parti faire découvrir ses arabesques et sa finesse technique du côté de Mulhouse et du PSG. Mais le natif de Mascara n’avait pas envie de quitter l’Algérie et ne regrette pas ce choix : « En jouant en Algérie, sans évoluer à l’étranger j’ai rendu fiers les Algériens, j’ai marqué l’histoire de mon pays et laissé mon empreinte sur notre football. Je n’aurai pas pu accomplir tout ça sans mes coéquipiers et dirigeants. Je ne regrette absolument pas mes choix, je ne regrette pas d’être resté en Algérie. J’ai élevé au plus haut les couleurs de mon pays à New York – En juillet 1982, il est sélectionné dans l’équipe du reste du monde aux côtés de Zico, Sócrates ou encore Falcão pour affronter les meilleurs joueurs européens comme Platini – et ce moment restera dans les livres d’histoire ». L’histoire retiendra de 1982 une équipe pleine de créativité et de fougue, qui a dominé le favori de la compétition en déjouant tous les pronostics. Des joueurs inconnus du monde du football mais au talent incroyable. Un groupe qui aura offert un cadeau grandiose pour les 20 ans de liberté de sa Nation. Et au final deux grands pays qui s’allient et s’humilient afin d’éliminer la surprenante Algérie. Avant de conclure l’entretien, Lakhdar Belloumi tenait à faire passer un message aux jeunes, durant cette période difficile que traverse le pays face à la pandémie du COVID-19. « J’ai un message pour la jeunesse : pour arriver à ce niveau, voire plus c’est sur le travail qu’il faut compter. L’argent ne fera jamais le bonheur. Gagner sa vie c’est important mais il faut le faire avec honneur. Pour le peuple Algérien, face à la pandémie de COVID-19, il faut prendre ses précautions. Cela ne se limite pas au lavage des mains mais c’est le respect de toutes les consignes sanitaires de l’état qu’il faut appliquer. Je félicite les autorités et la solidarité des Algériens. Il faut faire passer le message pour se protéger ». Dzfoot  

Laisser un commentaire