La belle histoire de vie de Boulaye Dia : De la Régionale 2 à la Ligue 1
Il n’est jamais trop tard pour réaliser et vivre son rêve : demandez plutôt à Boulaye Dia. L’attaquant du Stade de Reims a découvert la L1 cette saison, alors qu’il était encore à l’usine il y a trois ans. FF vous raconte son histoire pas comme les autres.
Environ 160 kilomètres. C’est ce qui sépare Oyonnax de Saint-Etienne. Un jour de 2008, le jeune Boulaye Dia doit se rendre à l’Etrat, au centre de formation de l’ASSE pour y passer un test. Et peut-être voir ses rêves de football enfin se réaliser. Il n’a alors pas encore 12 ans. Le père, Nouah, pas vraiment enthousiasmé par le ballon rond, met le contact dans la Renault 21 familiale pour conduire son jeune adolescent. Les kilomètres défilent. A quelques encablures de l’arrivée, au péage de Saint-Etienne, la voiture des Dia connaît un problème technique. Là voilà en panne. Trop, c’est trop pour le père Dia, énervé, qui décide tout simplement de faire demi-tour et de rentrer à la maison..
Auteur de trois buts en huit titularisations (et dix-huit apparitions en tout) pour sa toute première saison de Ligue 1, Boulaye Dia est l’une des belles histoires de cette saison 2018-19. Imaginez plutôt : le garçon, qui fêtera ses 23 ans le 16 novembre prochain, est passé du Régional 2 à la Ligue 1 en à peine deux ans. Un incroyable destin qui a pris (beaucoup) de temps et qui débute donc à Oyonnax, le berceau familial. Sixième d’une grande famille de sept enfants, un père chef d’équipe de nuit, une mère qui reste au foyer, le jeune Boulaye devient très rapidement familier avec le football au coeur d’une enfance qu’il ne qualifie pas de compliquée, «mais ce n’était pas facile non plus», avoue-t-il à FF, parti à sa rencontre à la mi-mai. Avec des frères qui ne le ménagent pas : «J’étais toujours envoyé par eux, rigole-t-il, je devais toujours faire quelque chose pour eux, comme aller faire des courses ou d’autres trucs quand ils avaient la flemme.»
«C’est le plus humble de la famille. Il a toujours obtenu ce qu’il voulait parce qu’il s’en est donné les moyens»
Au service des siens, déjà, Boulaye Dia a pourtant très vite une idée fixe dans sa tête : il veut devenir footballeur professionnel, lui qui n’a jamais eu d’idole mais qui a toujours apprécié Ronaldinho et surtout Robinho, dont il portait le maillot dans sa jeunesse. «Une fois, je revenais de mon match en U16, raconte Harouna, un des grands frères de Boulaye Dia. Même chose pour deux autres de mes frères. Boulaye avait six ou sept ans. Il jouait un peu, on savait qu’il était pas mal, mais on le taquinait en lui disant qu’il était nul. Sauf qu’il nous disait « Vous verrez, quand je grandirai, je vais percer dans le foot et tous vous sortir de là ». On se marrait et on lui riait au nez. Sa devise qui le résume bien ? Quand on veut, on peut !»
Dia découvre le foot en club au Plastic Vallée FC à Oyonnax. Mais sur les terrains proches du domicile des parents où on s’affronte entre potes, le talent de Boulaye est déjà remarqué. Lors de matches disputés par ses frères, le seul « petit » qu’on accepte, c’est Boulaye Dia, qui se confronte alors à des jeunes âgés de six voire sept ans de plus que lui. Forcément formateur. Dans la famille Dia, le niveau footballistique est intéressant, au point que certains grands frères ont envie de persévérer dans cette voie. Mais sans jamais voir bien plus haut. «Je voyais mes grands frères qui étaient de bons joueurs, mais qui n’ont pas forcément fait les bons choix, détaille Boulaye Dia. Je m’en suis inspiré pour ne pas faire les mêmes erreurs. Je me disais qu’il en fallait au moins un dans cette famille. J’ai mis tout en oeuvre pour y arriver.» Des choix qu’il a fallu appréhender : «Le choix d’un club, privilégier la femme plutôt que le football, sourit-il. Faire ce choix, c’est beau ! La vie est une question de choix, mais il faut faire les bons.» «C’est le plus humble de la famille, promet Harouna, le frère. Il a toujours obtenu ce qu’il voulait parce qu’il s’en est donné les moyens.»
Quand l’OL le refuse sur une radio… du poignet
Pourtant, si le talent est là et qu’on s’intéresse à Boulaye Dia, à l’image de l’épisode de Saint-Etienne, les centres de formation se refusent à lui. Même s’il a été à deux doigts d’intégrer la toujours très cotée Académie de l’Olympique Lyonnais. «Entre 13 et 15 ans, j’allais faire des entraînements et détections tous les premiers mercredis du mois, se rappelle Dia. Jusqu’aux U15, on devait être deux ou trois, les derniers survivants. Et c’est là qu’ils ont fait un choix. Moi, le tout petit, l’autre le costaud et un autre plus technique. Franchement, j’étais petit…» Sa taille ne l’aide pas et tout va en fait se jouer… sur une radio. «Pour les départager, ils leur ont fait passer une radio du poignet, narre le frère. Il était en concurrence avec un joueur qui avait connu la formation d’Auxerre. La radio a déterminé qu’il serait plus grand.» Heureusement pour Boulaye, il finira par pousser et grandir. «Mes frères étaient tous grands, donc je ne comprenais pas ! J’étais tout petit pendant longtemps. Maintenant, me voilà à 1,80m, j’en suis content.»
« Il a fallu qu’il tienne la famille à bout de bras »
Pas de foot pro, donc, mais le club de Jura Sud en U15 et en U17 Nationaux. Avant de tout plaquer. Dans l’Ain, si la maman n’a jamais travaillé, le papa Dia fait face à quelques problèmes de santé, qui l’empêchent de pouvoir exercer son métier. Boulaye Dia, titulaire d’un Bac pro en électricité à ses dix-huit ans, doit aider les siens, rentrer à la maison et mettre le foot de côté. «Un sacrifice ? Oui, quand même, lance-t-il. Je me suis dit que c’était momentané, juste histoire de quelques temps, ensuite j’allais pouvoir me concentrer un peu plus sur le foot. J’avais le choix, mais pour moi, c’était tout à fait normal.» «On était tous un peu parti construire nos vies, prolonge Harouna Dia. Il n’y avait plus que lui et le dernier petit frère. Il a fallu qu’il tienne la famille à bout de bras.» Boulaye se lance alors dans l’intérim et enchaîne les boulots : préparateur de commandes dans une entreprise d’expédition, opérateur, maintenancier d’équipements électriques… Pendant deux ans. Avec un salaire qui aide toute la famille Dia. «Ce n’était pas long. On prend ce qu’il y a à prendre. S’il n’y avait pas eu le foot, j’avais d’autres idées en tête comme poursuivre dans l’électricité, passer des formations dans ce domaine. Ces deux ans m’ont appris les valeurs de la vie. Je devais me lever très tôt le matin, parfois travailler la nuit, pendant qu’il fait froid et que tout le monde dort. Si je dois le refaire un jour, je le ferais.»
«Je voulais savoir ce qu’il avait dans le ventre»
Mais sans jamais perdre espoir et toujours avec le ballon dans un coin de la tête. «Papa lui disait que le foot, c’est bien beau, mais il faut travailler, narre Harouna Dia. Lui voulait réaliser son rêve. On savait qu’il pouvait faire quelque chose. En fait, de l’autre côté, on lui disait l’opposé de ce que papa disait. Il s’est accroché à son rêve.» En 2017, même si sa mère, à son tour, lui explique que le foot n’est pas un vrai métier, Boulaye Dia se remet à y croire et s’envole pour le pays de Galles, où une connaissance lui a parlé d’un club pour un essai. L’attaquant s’y rend… et se blesse. Encore raté. Lassé, il décide alors de rejoindre son premier club, à Oyonnax, «mais je lui ai interdit, rétorque Harouna, son frère. Au minimum, il devait retourner en CFA, à Jura Sud».
C’est là qu’intervient Pascal Moulins, l’entraîneur du club jurassien. «Il s’était un peu éparpillé à faire des essais à droite, à gauche, explique-t-il. Il cherchait à aller plus haut mais il ne savait peut-être pas comment faire. Des joueurs m’en ont parlé, mais je voulais que ce soit lui qui fasse la démarche. J’ai fait passer le message pour qu’il se dise « Maintenant, je sors de mon confort, de mes potes, pour jouer à un niveau amateur ». Je voulais savoir ce qu’il avait dans le ventre. Il entendait des gens qui lui disaient qu’il avait du talent, il n’en avait peut-être pas assez conscience. Ce ne sont pas la famille et les copains qui allaient lui permettre de faire carrière dans le foot.» Dia appelle Moulins, la rencontre a lieu («Je voulais savoir s’il pouvait se concentrer totalement sur le foot», dit le coach), Jura Sud fait une proposition de contrat amateur dès le lendemain. Avant, une semaine plus tard, de passer déjà la vitesse supérieure avec un contrat fédéral de trois ans. «Mes dirigeants m’ont demandé pourquoi, je leur ai dit que c’était un futur très bon et que si j’arrivais à le mettre au niveau, ils auraient des approches de clubs professionnels.»
.«Je ne sais pas si on peut parler de rêve…»
Les buts s’enchaînent, Boulaye Dia commence à faire parler de lui. Même en N2, le club le protège des nombreuses sollicitations. En mars 2018, Reims passe à l’action. Mathieu Lacour, le directeur-général, appelle son futur attaquant. Le rêve prend véritablement forme. Enfin. «Je me suis dit, ça y est, ça va peut-être enfin décoller. En signant le contrat, c’était un aboutissement de plusieurs années de travail sur le terrain, en dehors, à l’usine. Plein de choses. Franchement, ouais, ç’a été long, explique Dia en éclatant de rire tel un garçon soulagé. J’ai été patient.» Du Régional 2 en 2017 à la Ligue 1 en 2018, l’ascension est supersonique. «Je ne sais pas si on peut parler de rêve. On peut, mais je ne suis pas rêveur. Même si, c’est vrai, la trajectoire est fulgurante. C’est allé vite.»
A l’été 2018, Boulaye Dia devient donc un joueur du Stade de Reims. Mais il arrive, dans un premier temps, pour renforcer la réserve. Discret, toujours à l’écoute, il s’intègre très rapidement. Et ses qualités d’électricien rendent quelques services à ses coéquipiers. «En réserve, on m’appelait et on me disait : « Ma plaque de cuisson marche pas bien, c’est quoi les branchements ? » On se faisait un FaceTime et je lui montrais.» S’il a l’ambition d’intégrer le groupe professionnel à partir de la trêve hivernale, cela va aller bien plus vite. Pablo Chavarria est l’attaquant numéro 1 de David Guion, mais Hyun-jun Suk, un gros investissement champenois du mercato d’été 2018, peine à s’imposer. Dia en profite. Dès le 20 octobre, à Angers, il est lancé en Ligue 1 pour la première fois à huit minutes de la fin. Inoubliable. «J’ai vu trop de monde, je ne connaissais pas tout ça, la lumière plein de gens, décrit-il avec des étoiles dans les yeux. J’ai fait six sprints, j’étais fatigué. Je me suis dit « La Ligue 1, c’est dur ! Il faut que je bosse ». Juste avant, j’avais fait un échauffement de fou pour être prêt. Je suis rentré, j’étais cramé ! Tu n’es pas habitué à cette atmosphère, ça va vite. Mais c’était beau.» Beau, mais dans l’Ain, à Oyonnax, certains ont un peu de mal à le voir sur les terrains. «Maman ne regarde pas toujours ses matches, détaille Harouna Dia. Quand il y a un contact, elle tourne la tête, elle dit « Ils vont casser mon fils ».»
Avant un premier but face à Guingamp fin novembre et donc une première saison forcément inattendue. Avec les exigences du haut niveau qu’il comprend très vite. «Ca change du fait de devoir tout mettre en oeuvre uniquement pour le foot. En Nationale 2, tu vas à l’entraînement, ensuite, tu t’en fous, tu peux aller manger une glace. Là, ce n’est plus possible.» «Reims a bien fait les choses en prenant le temps de l’amener petit à petit, se satisfait Pascal Moulins. C’est un garçon capable de marquer 10 à 15 buts en Ligue 1 en une saison. Il a encore une bonne marge de progression. S’il continue à apprendre aussi bien et à le mettre en application aussi vite, il devrait faire mal à des défenses. Il est frais, il sort du monde amateur.» Un Boulaye Dia qui a d’ailleurs très vite compris qu’il ne sortait pas d’un centre de formation. «Ca peut être une faiblesse, mais je trouve que c’est une force. Ceux qui sont passés par un centre sont robotisés, ils ont des manières… Ils sont trop habitués à jouer de telle façon. En arrivant, je n’avais pas l’habitude, ça m’a changé.»
Prolongé, déjà, jusqu’en juin 2022 par le Stade de Reims il y a quelques semaines, Boulaye Dia a subi un premier coup d’arrêt avec une blessure au psoas qui l’a privée de la fin de saison. Qu’importe, la tête est déjà tournée vers la saison prochaine. «Ce sera d’abord la confirmation. Il ne faut pas se dire qu’on s’est enflammé, que c’est un joueur quelconque. Je vais continuer à bien faire.» Tout en n’oubliant jamais les galères finalement pas si lointaines que ça. «Hassane (Kamara, son coéquipier à Reims) me le rappelle toujours : il aime bien me taquiner là-dessus. Par exemple, j’ai prolongé mon contrat et il m’a dit « Il faut qu’on appelle Manpower (entreprise d’intérim), tu es leur égérie ». Je sais d’où je viens, je n’ai pas de souci à garder les pieds sur terre. Si je mérite ce que j’ai ? Oui, pas parce que j’ai galéré, mais parce que j’ai gardé espoir. J’ai essayé de bien faire les choses, ç’a payé.»