Covid 19 : La faillite retentissante du foot français

La LFP a voté la souscription d’un emprunt garanti par l’État de 224,5 millions d’euros pour renflouer ses clubs, surtout ceux de Ligue 1. Malgré cette aide, certains sont au bord du dépôt de bilan. Mediapart révèle des documents confidentiels établissant le caractère périlleux de l’opération effectuée sans la moindre vérification de solvabilité. Les contribuables risquent de payer les dérives du foot-business.

C’est peu dire que le football français vit des heures sombres. À l’instar de tout le pays, que la pandémie de Covid-19 a ravagé, il a, lui aussi, été aspiré dans de graves turbulences depuis que les avancées du coronavirus ont contraint tous les clubs, sur instruction de l’État, de cesser toute activité.

C’est tout particulièrement le cas de la Ligue 1 (L1) et de la Ligue 2 (L2), l’élite professionnelle de ce sport, dont la saison s’est brutalement arrêtée en mars dernier, à l’issue de la 28e journée du championnat.

Interruption immédiate des droits de retransmission télévisée versés par Canal+ et beIN Sports, perte des recettes de billetterie, effondrement des recettes de sponsoring, effondrement prévisible du marché des transferts des joueurs : toutes les sources de revenus des clubs se sont brutalement taries alors que leurs charges, et notamment les salaires souvent pharaoniques des joueurs, ont continué de courir, plongeant ces clubs dans une situation d’asphyxie financière sans précédent.

Selon la version officielle de la Ligue de football professionnel (LFP), qui supervise les championnats de L1 et L2, ce ne sera pourtant qu’un trou d’air. À l’occasion de son assemblée générale, qui s’est tenue mercredi 20 mai en visioconférence, et qui à son issue a donné lieu à un communiqué pour le moins laconique , les membres de la LFP ont en effet voté une résolution qui autorise son directeur général, Didier Quillot (l’ex-président de Lagardère Active) à souscrire un prêt garanti par l’État (PGE) à hauteur de 224,5 millions d’euros, correspondant aux droits TV que les clubs n’avaient pas encore perçus pour cette saison. Ce qui devrait leur permettre de repartir du bon pied, dès que la nouvelle saison sera autorisée à démarrer. Aucune vague pendant cette assemblée générale : le PGE a été voté à presque 70 % des voix. Polémiquant contre l’un de ses homologues de L2, le président de l’Olympique de Marseille, Jacques-Henri Eyraud, a juste alerté les membres de la LFP que Mediapart allait publier le lendemain une enquête sur le sujet.

Une photo visant à promouvoir le nouveau site internet de la LFP, début 2020. De gauche à droite : Victor Osimhen (Lille), Wissam Ben Yedder (Monaco), Kylian Mbappé (Paris), Dimitri Payet (Marseille), Eduardo Camavinga (Rennes) et Moussa Dembele (Lyon). © LFP

Les documents confidentiels de la LFP qui ont été mis au point pour préparer cette assemblée générale, et que Mediapart est en mesure de révéler, contredisent toutefois cet optimisme de façade. Ils indiquent en effet que la crise financière du football professionnel est beaucoup plus grave qu’on ne le dit, au point que plusieurs clubs de L1 sont au bord de la faillite – l’Olympique de Marseille, les Girondins de Bordeaux, l’AS Saint-Étienne ou encore le Losc de Lille semblent les plus menacés.

On ne peut pas même exclure que la Ligue soit elle-même emportée dans la tourmente et puisse, dans cette hypothèse, éprouver des difficultés à rembourser le prêt gigantesque qu’elle va souscrire. Ce qui aurait des conséquences implacables : après des années de surenchères folles autour des droits TV, pour payer des salaires de plus en plus démentiels au profit des joueurs vedettes, et des transferts tout aussi délirants, ce serait finalement les contribuables qui pourraient être invités à mettre la main à la poche, pour payer la facture des dérives du foot-business.

Pour comprendre le risque que prend la Ligue en souscrivant cet emprunt – et l’État en apportant sa garantie sur 90 % du montant –, il faut remonter un an en arrière. Car déjà, en 2019, avant même que la crise sanitaire n’éclate, de nombreux clubs professionnels étaient dans une situation financière très délicate, du fait de cette fuite en avant.

Les  chiffres officiels publiés pour la saison 2018-2019 par la Direction nationale du contrôle de gestion (DNCG), l’organisme chargé de surveiller les comptes des clubs professionnels, permettent d’en prendre la mesure.

Car pour cet exercice, les clubs de L1 et L2 ont affiché des pertes nettes de 160 millions d’euros, dont 126 millions d’euros pour la seule L1. Et pour cette dernière, des clubs ont affiché des résultats financiers désastreux, au premier chef l’Olympique de Marseille avec un déficit de 91 millions d’euros, mais aussi dans une moindre mesure des clubs comme Lille (- 66 millions d’euros) ou encore Bordeaux (- 25,7 millions d’euros).

À l’issue de la saison 2018/2019, six clubs étaient déjà dans le rouge ; l’OM, le Losc et les Girondins accumulaient à eux trois un déficit de 184 millions d’euros

Il faut d’ailleurs observer que dans cette spirale folle dans laquelle la L1 est aspirée – copiant tous les travers du capitalisme financiarisé anglo-saxon, dans une version appliquée au sport – ces clubs n’ont presque jamais ces dernières années trouvé leur équilibre financier.

Toutes les recettes du football augmentent (droits TV, mercato, sponsors, billetterie…), mais les charges augmentent tout autant, à commencer par les charges salariales mirobolantes des joueurs vedettes. En bout de course, dans cette bulle qui ne cesse de grossir, les clubs sont presque toujours déficitaires sur une longue période.

À l’issue de l’exercice 2019/2020, les clubs de Ligue 1, qui n’ont été bénéficiaires qu’à une seule reprise lors des dix dernières saisons, prévoient un déficit cumulé de 541 millions d’euros.

Mediapart

 

Laisser un commentaire