Anniversaire : Joyeux anniveraire Maradona “« Je rêve de pouvoir marquer un autre but aux Anglais, avec la main droite ! »

Généralement insaisissable, Diego Maradona a accepté de se poser pour passer en revue certains moments clés de sa carrière pour France Football. L’occasion de regoûter à la malice, au sens du contre-pied et aux fulgurances espiègles de la légende argentine, qui fête ses 60 ans ce vendredi.

On connaissait la difficulté de la tâche. Nous n’avons pas été déçus. Décrocher une interview avec Diego Maradona s’apparente à un marathon fait de sprints, d’obstacles et de sauts répétés dans l’inconnu. Avec une ligne d’arrivée qui n’en finit pas de se dérober. « El Pibe » se mérite. Forcément. Férocement. « Je vous passe Diego. » Après d’intenses semaines de pourparlers et de rendez-vous manqués et/ou reportés, le voilà enfin, avec quelques heures de retard, qui apparaît (par écran interposé, Covid oblige) devant nous, confortablement installé dans son fauteuil en cuir. Veronica Ojeda tient le smartphone de son ancien compagnon en cet après-midi de mi-octobre, jour férié en Argentine, en mémoire de la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb.

Comme chaque jour, elle est venue le rejoindre sur les coups de midi dans sa villa de Bella Vista, une résidence fermée située dans la municipalité de San Miguel, à une trentaine de kilomètres du centre de Buenos Aires. Coupé du monde dans ce havre de paix verdoyant réservé à une certaine élite, Diego Maradona, entraîneur en poste au Club de Gimnasia y Esgrima La Plata (L1 argentine), est encore un peu sonné alors que se termine tout juste l’heure de la sieste. Son débit de parole est lent, le verbe hésitant, héritage d’une vie menée à tombeau ouvert. Mais le ton reste malicieux pour celui qui n’est plus apparu publiquement depuis le 30 septembre et le match amical de son équipe face à San Lorenzo.

« Dans votre biographie Yo soy el Diego de la gente (Je suis le Diego du peuple, sorti en 2000), vous dites : “Ils m’ont sorti de Villa Fiorito et ils m’ont donné un coup de pied dans le cul (…) J’ai fait ce que j’ai pu et je pense que je ne m’en suis pas si mal sorti”…

Tout au long de ma carrière, au fond... (Il se reprend.) Dans ma carrière, j’en ai vu des vertes et des pas mûres, dans tous les sens du terme. Sur le terrain, j’ai reçu de nombreux coups, et dans la vie, on m’a attaqué de toutes parts. Certaines personnes s’en sont même pris à ma famille, à mes frères, à mes soeurs et même à Benja (le fils de Sergio Agüero et de Giannina, sa seconde fille). On ne m’a fait aucun cadeau… Mais, après tout, quand on pense à toutes les guerres et à tous ces enfants qui meurent très jeunes dans ce monde, je me dis que je suis un privilégié.

Qu’est-ce que cela signifie pour vous d’être en Argentine à nouveau, de retrouver vos racines, après toutes ces années loin de chez vous ?
Après avoir dirigé notre sélection lors de la Coupe du monde 2010 (NDLR : élimination en quarts de finale face à l’Allemagne, 0-4), j’ai dû partir exercer mon métier et vivre ma passion dans d’autres pays, car Julio Grondona (président de la Fédération argentine de 1979 à 2014, année de son décès) ne voulait pas de moi. J’ai donc passé de nombreuses années à l’étranger (il a notamment entraîné aux Émirats arabes unis et au Mexique) et maintenant me voilà de retour chez moi, heureusement ! Bon, les circonstances ne sont pas les meilleures avec cette pandémie qui nous est tombée dessus après mon expérience au Mexique (il a entraîné les Dorados de Sinaloa,

en Deuxième Division, de septembre 2018 à juin 2019). C’est un véritable coup dur pour tous les peuples d’Amérique latine.

Au moment où vous vous apprêtez à fêter vos 60 ans, quels souvenirs gardez-vous de vos premiers pas à Argentinos Juniors de 1976 à 1981 et à Boca Juniors en 1981 et 1982, lorsque vous n’étiez encore que “El Pibe de Oro” (le Gamin en or) ?
Quand je me retourne sur cette période où j’ai débuté, je suis extrêmement satisfait de ce que j’ai réalisé. J’ai la sensation d’avoir donné du plaisir et amusé les gens qui venaient me voir au stade et qui me regardaient à la télévision. Je suis heureux d’avoir procuré du bonheur aux gens avec un ballon. C’est ma plus grande fierté.

Plus tard, au Barça, de 1982 à 1984, et à Naples, entre 1984 et 1991, vous avez connu le pire comme le meilleur, les blessures, les titres, la gloire, les excès…
Je suis parti en Europe pour relever de nouveaux défis, avec l’idée de me frotter au meilleur football. À cette époque, ce n’était pas si facile pour un footballeur sud-américain de partir jouer là-bas. Moi, j’ai pris ce risque. Je suis parti de loin et j’ai tout misé là-dessus, c’est comme ça que j’ai toujours fait. C’est ma manière d’être.

« Des Ballons d’Or, j’en aurais gagné une tonne ! »

En 1989, vous avez été tout proche de signer à l’Olympique de Marseille. Racontez-nous cette histoire en détail et pourquoi cela ne s’est pas fait.
Oui, oui, je m’en souviens très bien. (Il se montre très enthousiaste.) Les dirigeants de Marseille m’ont contacté et m’ont proposé de doubler mon salaire. J’évoluais alors à Naples et le président (Corrado) Ferlaino m’avait dit que, si on décrochait la Coupe d’Europe (la Coupe de l’UEFA 1989, remportée face au VfB Stuttgart 2-1, 3-3), il me laisserait partir. Bernard Tapie (alors président de l’OM) et Michel Hidalgo (son manager sportif) sont même venus me voir jusqu’en Italie pour me faire une proposition et pour qu’on en discute tous ensemble. Une fois que je suis retourné à Naples (la réunion a eu lieu à Milan), j’ai dit à Ferlaino : “Merci président pour toutes ces belles années, je m’en vais.” À ce moment-là, il a commencé à faire l’idiot, comme s’il ne comprenait pas, et il a fait marche arrière. Fin de l’histoire.

Quel serait votre cadeau rêvé pour vos 60 ans ?
Je rêve de pouvoir marquer un autre but aux Anglais, avec la main droite cette fois-ci ! (Il éclate de rire.)

Jusqu’en 1995, les footballeurs non européens ne pouvaient pas concourir pour le Ballon d’Or. Finalement, France Football vous a remis un Ballon d’Or honorifique cette même année. C’était important pour vous de recevoir cette distinction ?
Bien sûr ! Évidemment ! Avant, nous, les Sud-Américains, nous n’avions aucune chance de gagner ce trophée. Sinon, j’en aurais accumulé plus d’un, c’est certain. J’en aurais gagné une tonne ! Après, j’ai eu la chance d’être honoré par France Football et, franchement, ç’a été un bonheur…

Quels joueurs actuels vous font rêver ?
Messi et Cristiano (Ronaldo), Cristiano et Messi… Pour moi, ces deux-là sont un cran au-dessus des autres. Je ne vois personne s’approcher d’eux. Pas un seul ne réalise la moitié de ce qu’ils font.

Et Kylian Mbappé, où le situez-vous ?

C’est un joueur fantastique, mais ça reste un gamin ! Il faut qu’il joue des matches et encore des matches, qu’il dispute plein de compétitions pour continuer de grandir. Il doit surtout faire attention aux défenseurs qui peuvent lui massacrer la cheville. J’en sais quelque chose… (Il fait référence à la fracture de la cheville dont il a été victime le 24 septembre 1983 sur un tacle d’Andoni Goikoetxea, défenseur de l’Athletic Bilbao, lorsqu’il évoluait au Barça). Mais je dois admettre qu’il va vraiment très vite et qu’il a un toucher de balle particulier…

Si vous deviez choisir les meilleurs joueurs de l’histoire, vous prendriez qui ?
Déjà, il y a plein de joueurs spectaculaires que je n’ai pas eu la chance de voir jouer. En Argentine, il y avait un gardien incroyable dont tout le monde parlait lorsque j’étais enfant : Amadeo Carrizo (portier de River Plate de 1945 à 1968, qui a gardé la cage de l’Argentine lors de la Coupe du monde 1958 en Suède). Personnellement, je n’ai pas pu le voir évoluer, mais tout le monde le décrivait comme un phénomène. Il y a aussi Franz Beckenbauer, qui jouait juste avant que je ne commence ma carrière et que je n’ai pas pu croiser sur le terrain. Ensuite, lorsque j’ai démarré dans le Championnat argentin, j’ai affronté le Pato (Ubaldo) Fillol (champion du monde avec l’Argentine en 1978) et des défenseurs rugueux comme “El Mariscal” (le Maréchal) Roberto Perfumo (défenseur de River Plate de 1975 à

1978), Alberto Tarantini (champion du monde 1978, qui a évolué à Bastia et Toulouse). Des joueurs oubliés de tout le monde aujourd’hui, mais qui étaient des rivaux difficiles à cette époque-là. Si je devais choisir des milieux de terrains, je prendrais Xavi et Luka Modric. Et puis, devant, je mettrais Messi et Cristiano, sans aucun doute.

Zinédine Zidane, Gabriel Batistuta, Cristiano Ronaldo, David Trezeguet, Kylian Mbappé… Tous parlent de vous comme d’une légende, avec des étoiles plein les yeux. Ça vous touche encore ce genre d’hommage ?
Je suis très honoré que tous ces grands joueurs parlent de moi avec autant d’amour. J’entretiens d’excellents rapports avec tous ces joueurs qui ont évoqué ma carrière. Il existe un immense respect mutuel entre nous et c’est pour moi un vrai plaisir d’avoir pu parler avec France Football à l’occasion de mes 60 ans. »

 l’équipe

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